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Réflexions d’un jeune agriculteur des Prairies sur la COP27

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Lorsque je me suis rendu à la COP27, le 9 novembre, j’étais déjà convaincu qu’il était très important d’y participer et d’y faire connaître l’histoire d’innovation de notre pays. J’ai été honoré de faire partie de la délégation canadienne, et c’est avec un grand sérieux que j’ai abordé ce rôle.

J’avais trois objectifs principaux :

  • mieux comprendre l’opinion et les tendances mondiales afin de m’assurer que les investissements de Protein Industries Canada aillent dans le même sens;
  • aider à faire savoir comment l’agriculture et la transformation alimentaire canadiennes s’appuient sur l’innovation à la fois pour atténuer le changement climatique et pour s’y adapter, et
  • comprendre dans quelle mesure les solutions proposées pour réduire les émissions de GES du secteur sont de nature prescriptive ou réglementaire.

La COP27 a été une expérience formidable pour le jeune agriculteur des Prairies que je suis à l’origine. J’ai entendu de vive voix des leaders mondiaux parler des répercussions des changements climatiques sur leurs industries agricoles et des solutions qu’ils et elles proposent. Et j’ai pu communiquer l’histoire de l’agriculture canadienne et ce que nous faisons pour résoudre les problèmes auxquels le secteur doit faire face.

Je vous fais part de mes réflexions... J’espère qu’elles vous seront utiles.

La crise des systèmes alimentaires est imminente

Il est facile pour celles et ceux d’entre nous qui vivent au Canada de glisser sur les problèmes de chaîne d’approvisionnement alimentaire que nous avons connus brièvement dans les premiers jours de la pandémie de COVID-19, lorsque nous nous sommes tous mis à faire du pain au levain, vidant les rayons de paquets de farine. Or, c’est une tout autre affaire que de considérer les problèmes de sécurité alimentaire que connaissent la majorité des pays en développement, notamment ceux qui sont touchés par le changement climatique ou la guerre en Ukraine. Pour les personnes pour qui terme « système alimentaire » n’est pas familier, il s’agit tout simplement du processus ou des étapes que nous suivons pour cultiver, traiter, distribuer, vendre au détail, commercialiser, consommer et éliminer les aliments que nous mangeons. Toute perturbation de l’une de ces étapes peut empêcher les aliments d’arriver à leur destination. Outre les défis liés au système alimentaire, les pays en développement subissent une inflation des coûts et, en corollaire, une augmentation de la faim et de la malnutrition.

Naturellement, lors de la Conférence de la COP27, il a été beaucoup question de la nécessité de « redéfinir les systèmes alimentaires mondiaux » au moyen de solutions liées à des chaînes d’approvisionnement plus courtes et à des investissements plus importants dans la production alimentaire locale pour les pays en développement. Le Canada, en tant que grand fournisseur de calories pour pays développés et en développement, doit être à l’avant-garde des discussions pour orienter le débat de manière à équilibrer le besoin accru de souveraineté alimentaire, d’une part, et une meilleure intégration des chaînes d’approvisionnement alimentaire, d’autre part. Le Canada offre un approvisionnement abondant, un environnement géopolitique stable et une infrastructure de transport bien développée.

En ce qui concerne les changements climatiques, les systèmes alimentaires mondiaux représentent le problème, sont victimes du problème, et sont porteurs de la solution au problème

Il nous faut une « révolution doublement verte »

La plupart d’entre vous qui lisez ces lignes auront entendu mentionner les statistiques suivantes : « Nous devons produire autant de nourriture dans les 70 prochaines années que nous en avons produit depuis le début de l’humanité » ou « Nous devons doubler la production alimentaire d’ici 2050 ». Dans les deux cas, nous avons une côte à gravir. Mais la COP27 m’a fait prendre encore davantage conscience de l’autre facteur que nous devons absolument aborder : la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

À l’échelle mondiale, l’agriculture et l’alimentation représentent 30 % des émissions de GES. Cela signifie que pour les membres du secteur agricole, il ne suffit pas de dire que « l’agriculture est à part », que « les gens ont besoin de manger » ou encore que « nous avons affaire à des systèmes biologiques », et que donc « nous n’avons pas à réduire les émissions au même degré que les secteurs de l’énergie ou des transports ». La dure réalité, c’est que nous devons réduire les émissions tout en augmentant la production alimentaire mondiale, ce qui signifie qu’il nous faut faire une révolution doublement verte. Pour y parvenir, il nous faut être quatre fois plus efficaces sur le plan écologique qu’actuellement. Ce n’est pas une mince affaire !

L’innovation devra sous-tendre les changements que nous devons opérer

Si l’on considère le défi herculéen qui attend le secteur agricole, à savoir doubler la production tout en réduisant de moitié les émissions, il est clair que les politiques et la réglementation, bien qu’étant des outils importants, sont considérées comme mineures par rapport à la nécessité d’investir dans la recherche et l’innovation. J’ai assisté à la séance plénière sur l’initiative FAST (Food and Agriculture for Sustainable Transformation), action phare de la présidence égyptienne de la COP27 visant à accélérer l’action climatique dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture. À plusieurs reprises, j’ai entendu des dirigeants de pays développés ou en développement s’adresser à l’assemblée pour parler de leurs recherches et de leurs innovations visant à améliorer l’efficacité de la production tout en réduisant les émissions de GES. Ce discours était presque toujours suivi d’un appel à l’augmentation des investissements dans la recherche et le développement, du partage des connaissances et de la collaboration à l’échelle mondiale.

En bref :

Nous n’allons pas réglementer la manière dont nous deviendrons quatre fois plus efficaces écologiquement par rapport à aujourd’hui.

L’agriculture biologique n’est pas la réponse qui est mise de l’avant

Au cours de mon séjour à la COP27, je n’ai pas entendu d’argument crédible en faveur de l’agriculture biologique en tant que réponse visant l’obtention de systèmes alimentaires mondiaux durables et résilients. Ne vous méprenez pas, beaucoup de groupes d’intérêts spéciaux faisaient la promotion du message selon lequel l’agriculture biologique est la voie à suivre, mais les dirigeants qui demandaient davantage d’investissements dans l’initiative FAST n’appelaient pas par ailleurs à un passage à l’agriculture biologique.

L’accent a surtout été mis sur l’« agriculture régénératrice ». Pour simplifier, je dirais que le terme « agriculture régénératrice » désigne les pratiques agricoles qui restituent au sol une quantité de carbone supérieure à celle qui est libérée lors de la production de marchandises, qu’il s’agisse de produits animaux ou végétaux. Si je pense à l’agriculture régénérative en ces termes, je peux voir un moyen d’augmenter la production tout en réduisant les émissions. Cela ne constitue pas une voie suffisante, mais cela représente au moins quelques étapes. Dans les séances de la COP27 auxquelles j’ai assisté, on a beaucoup insisté sur la santé des sols et la biodiversité en tant que moyen d’aller de l’avant, tout en reconnaissant que nous devons inverser les tendances récentes en matière de dégradation des sols. Le Canada a beaucoup à offrir dans ce domaine. C’est à la COP27 que l’agriculture et l’alimentation ont été inscrites pour la première fois à l’ordre du jour officiel, ce qui a incité un présentateur à suggérer : « Nous devons parler des sols autant que du pétrole ».

La mesure des émissions de niveau 3 arrive bientôt... nous devons nous y préparer

Les émissions de niveau 3 – celles qui tiennent compte de toutes les émissions en amont et en aval de la production, de la distribution, de l’utilisation et de l’élimination d’un produit – seront essentielles à comprendre et à mesurer si nous voulons :

  • réellement quantifier les émissions agricoles ; et
  • concevoir des interventions visant à réduire les émissions du secteur.

Les émissions de niveau 3 ne seront pas faciles à mesurer. Une telle mesure demande un degré de précision que nous n’avons pas aujourd’hui, et exigera coopération et transparence tout au long de la chaîne de valeur.

Les systèmes de données sont cruciaux

Pour plusieurs des points ci-dessus, la seule façon de parvenir à la résilience de la chaîne d’approvisionnement, à l’amélioration de l’efficacité de la production et à une mesure adéquate des émissions de niveau 3 est de disposer de meilleures données tout au long de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire. À cet égard, je me représente souvent des systèmes efficaces de mesure, de vérification et de déclaration, lesquels nécessiteront investissements, collaboration et coopération. Nous devrons résoudre les problèmes d’interopérabilité dans l’agriculture de production, et tous les acteurs de l’ensemble de la chaîne de valeur doivent réaliser l’importance du partage des données et de la transparence. Pas facile… mais d’une importance capitale !

L’acceptabilité sociale ne suffit plus

Je travaille depuis longtemps dans le secteur de l’agriculture, et j’ai été témoin et acteur des premiers travaux sur l’acceptabilité sociale, depuis l’apparition des OGM jusqu’aux débats actuels sur l’utilisation des pesticides et des engrais. Ne vous méprenez pas, je ne veux pas dire que le secteur devrait cesser de travailler à la sensibilisation des consommateurs aux technologies modernes employées dans la production agricole et dans la transformation des aliments, s’assurant ainsi que nous pouvons continuer à les utiliser. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne suffit plus de parler de l’utilisation de ces technologies existantes. Nous devons aborder les moyens de réduire l’impact de l’agriculture sur l’environnement et ce que nous ferons en tant que secteur pour réduire les émissions de GES. La démarche est amorcée pour certains produits de base et chez certains transformateurs alimentaires, mais il faut faire davantage.

Et maintenant, que fait-on ?

Si vous avez lu mon compte rendu de ce que j’ai appris en participant récemment au Globe Forum de Toronto et en y prenant la parole, vous vous souvenez peut-être que j’ai cité Alison Sunstrum, qui a dit : « Le Canada doit se lever et s’affirmer en tant que nation agricole ». Après avoir assisté à la COP27 et en avoir appris davantage sur les défis qui attendent les systèmes alimentaires mondiaux, je soutiens que l’appel à l’action d’Alison est on ne peut plus pertinent. En tant que nation exportatrice ayant une empreinte carbone agricole relativement faible, un écosystème d’innovation solide et un environnement géopolitique stable, nous avons à la fois la possibilité et la responsabilité de devenir chef de file mondial.

Le Canada doit se lever et s’affirmer en tant que nation agricole.

Qu’est-ce que cela signifie ? En fait, il s’agit des mêmes questions dont nous discutons depuis des années : un investissement accru dans la recherche et l’innovation dans les secteurs privé et public, la mise à jour de notre système de réglementation obsolète, une meilleure coopération, et une collaboration autour des systèmes de données.

Ce qui nous a peut-être manqué, c’est le « pourquoi ». Pourquoi ? Les défis qui se dressent devant les systèmes alimentaires mondiaux, du changement climatique aux chaînes d’approvisionnement qu’il faut rendre plus efficaces, de la malnutrition à l’inflation alimentaire, voilà notre « pourquoi ».

Merci de prendre le temps de vous informer sur l’initiative FAST, lancée lors de la COP27, et sur la crise imminente des systèmes alimentaires mondiaux. Je pense que vous saisirez pourquoi le Canada doit se lever et s’affirmer en tant que nation agricole.

W. L. (Bill) Greuel
Président-directeur général de Protein Industries Canada